Le texte de John Dickie
Découverte de la Spiral Jetty -
Archives 2008
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« L'excitation grimpe d'un cran lorsque nous arrivons près du vieux camion Dodge dévoré par la rouille et du véhicule amphibie de la Seconde Guerre mondiale, abandonnés là par des prospecteurs de pétrole qui finirent par jeter l'éponge après plusieurs tentatives depuis les années 20 de s'enrichir avec les ressources du lac. Ces vestiges industriels sont l'une des raisons pour lesquelles Smithson tomba amoureux du site, qui représentait pour lui "un monde de préhistoire moderne" et dont il parla en des termes pompeusement moqueurs. "Les produits d'une industrie dévonienne, les vestiges d'une technologie silurienne, tous les outils du carbonifère supérieur ont été perdus dans ces dépôts successifs de sable et de vase. Ce site témoigne de toute une succession de systèmes produits par l'homme qui se sont embourbés dans les espérances perdues."
Nous ne sommes plus qu'à quelques centaines de mètres de notre but. C'est ici que
Tacita Dean et d'autres ont abandonné leur recherche. En effet, une autre jetée de
pierre se trouve ici. Ce n'est pas une oeuvre d'art, mais une construction branlante
qui s'avance droit dans le lac, réalisée par les prospecteurs de pétrole en empruntant
la technique de Smithson. Notre conseil aux futurs visiteurs est simple : ne vous
laissez pas berner comme les autres. Continuez votre chemin.
Un peu plus loin, les pierres sur la route sont devenues trop dangereuses pour le
dessous de la voiture et nous devons continuer à pied. Nous marchons donc jusqu'à
ce que, au-
La couleur de l'eau est naturelle dans un sens. Elle est due à des algues, seul organisme
vivant capable de survivre dans cette portion extrêmement saline du lac. Mais la
main de l'homme y est aussi pour quelque chose. Il y a longtemps, une voie ferrée
a fermé la partie nord du lac, ce qui a provoqué une augmentation de la teneur en
sel.
Un peu plus tard le même jour, nous effectuerons un bref survol du site. Vu d'en
haut, le paysage alentour ressemble à une panoplie géante de chimiste, l'eau passant
mystérieusement du rose au vert pastel. La jetée est superbe dans ce cadre : on croirait
survoler Mars. Tout cela est très smithsonien. Il méprisait le beau -
Les bas-
Le temps est venu pour nous de mettre le pied sur la jetée. L'expérience semble plus
dangereuse qu'elle ne l'est probablement. Nous avons été prévenus de ce qui nous
attend si nous avons le malheur d'avaler de l'eau. L'eau du lac bouche les moteurs
de bateau en quelques minutes. Smithson, toujours digne d'être cité, nous vient alors
à l'esprit et alimente notre nervosité. "Vous prenez la spirale, et la spirale vous
prend." A cause du miroitement de l'eau, il est difficile de voir où sont les bords
de la jetée. On ne sait jamais où l'on va poser le pied : sur de la roche solide
ou sur une couche meuble de cristaux. Mais ce que l'on voit et l'expérience de marcher
sur toute la longueur de la spirale donnent aux sensations le temps et la place de
s'exprimer. De toute évidence, le sel est dans la Spiral Jetty un élément d'une grande
importance. C'est une mine de métaphores sur ce que l'art est capable de faire :
préserver et tuer. Les cristaux habitent les formes de vie et s'y fixent, croissent
en spirales non organiques et se dissolvent sans laisser de traces.
On a parfois reproché au land art d'être un art macho, un art de garçons qui veulent
laisser leur marque furieuse sur la Terre. Si une visite à la Spiral Jetty prouve
quelque chose, c'est que cette critique n'est pas fondée. La jetée n'est pas un corps
étranger qui a été imposé au paysage. Elle donne, dans l'immensité du paysage, une
note de délicatesse et de gaieté. Smithson pensait que sa création était juste assez
solide pour engager un dialogue intime avec les choses qui l'entouraient au fur et
à mesure que celles-